Coronavirus Covid-19 : comment la médecine vétérinaire soutient-elle les soignants ?
Par Irene Lacamp le 08.04.2020 à 13h06
Depuis l’entrée en confinement, les vétérinaires apportent aux médecins une aide à la fois humaine et matérielle. Retour en quatre points sur la mobilisation de ces professionnels de la santé animale.
Des dispositifs médicaux de réanimation prêtés par des vétérinaires peuvent être utilisés en médecine humaine afin de prendre en charge des patients infectés par le coronavirus SARS-CoV-2.
FREDERIC DIDES / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
Dans toute l’Europe et en France, la progression de l’épidémie de Covid-19 s’accompagne de tensions d’approvisionnement de certains produits de santé indispensables au traitement des patients infectés par le SARS-CoV-2. Protections individuelles destinées aux soignants, respirateurs artificiels et médicaments essentiels à la prise en charge des individus atteints de formes graves de la maladie en réanimation : peu à peu, les vétérinaires et leurs fournisseurs cèdent aux établissements de santé une partie de leur matériel destiné aux animaux mais utilisable en médecine humaine. Les vétérinaires eux-mêmes s’engagent dans la réserve sanitaire et leurs laboratoires d’analyses proposent de réaliser des tests de diagnostic ou de dépistage du Covid-19. Retour en quatre points sur la mobilisation de ces professionnels de la santé animale.
1. La mise à disposition de divers dispositifs médicaux
Les premiers produits de santé qui sont venus à manquer aux professionnels de la médecine humaine ont été des dispositifs médicaux. En particulier, les médecins et personnels soignants ont rapidement signalé des quantités insuffisantes d’équipements de protection individuelle. Quelques jours seulement après l’entrée de la France en confinement, les vétérinaires ont donc été enjoints par leur ordre professionnel à céder une partie de leurs masques, de leurs gants, de leurs surblouses, etc. aux professionnels de la santé humaine. “Je vous invite […], si cela vous est possible, à aider les soignants, tant des hôpitaux que les libéraux (votre médecin traitant par exemple), en leur donnant du matériel de protection que vous auriez en surplus […] et qui leur manquerait”, écrivait en effet à ses confrères le 20 mars 2020 le docteur Jacques Guérin, Président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.
Le même jour, les vétérinaires ont par ailleurs été informés que le ministère de la Santé les sollicitait afin de prêter aux établissements de santé du matériel d’anesthésie et de réanimation destiné à la prise en charge des animaux. Car les patients atteints de formes suffisamment sévères de Covid-19 pour nécessiter une hospitalisation en service de réanimation ou de soins intensifs sont rapidement devenus plus nombreux que les respirateurs artificiels et les scopes nécessaires à leur prise en charge. Les vétérinaires se sont ainsi organisés pour réaliser un inventaire du matériel dont ils disposaient et qu’ils pouvaient prêter aux établissements de santé humaine en cas de besoin. Finalement, 2500 réponses à un questionnaire de recensement ont été reçues, rapportait l’Ordre des vétérinaires le 31 mars 2020 par communiqué : les 2500 vétérinaires répondants ont indiqué pouvoir prêter 420 respirateurs permettant d’assurer la ventilation artificielle du patient, 504 appareils de monitoring permettant de surveiller les paramètres vitaux des individus et 1749 concentrateurs d’oxygène pour alimenter des dispositifs médicaux d’assistance respiratoire en oxygène dans certains hôpitaux ainsi que dans les Ehpad. Si le prêt d’équipements de protection pouvait être réalisé par les vétérinaires de façon spontanée auprès des professionnels de la santé humaine, la distribution de ces dispositifs médicaux plus complexes et plus précieux revient aux Agences régionales de santé (ARS) chargées d’organiser la lutte contre le Covid-19 à l’échelle locale.
” Les respirateurs artificiels, les appareils de monitoring et les concentrateurs d’oxygène que les vétérinaires ont mis à disposition des établissements de santé peuvent être utilisés sur des êtres humains dans la mesure où ces dispositifs ont initialement été développés pour l’Homme avant d’être adaptés par les vétérinaires à la prise en charge d’animaux de compagnie et de chevaux “, explique le docteur Guérin à Sciences et Avenir. Seuls quelques paramétrages doivent être réalisés afin de réadapter ces appareils à l’être humain.
2. Des étudiants et des vétérinaires en activité ou à la retraite pour la réserve sanitaire
Dès le 20 mars, les vétérinaires ont également cherché à rejoindre bénévolement la réserve sanitaire, ensemble de professionnels mobilisable par le Ministère de la Santé en situation de crise. ” De nombreux vétérinaires ont cherché à s’engager dans cette réserve en s’inscrivant sur la plateforme mise à disposition par Santé Publique France mais la profession n’avait pas été inclue dans ce dispositif “, raconte le Docteur Guérin à Sciences et Avenir. Aussi, les vétérinaires ont mis en place leur propre dispositif de recensement.
En fait, Santé Publique France n’a sans doute pas inclus directement les vétérinaires dans la réserve sanitaire car la médecine vétérinaire et la médecine humaine sont séparées d’un point de vue réglementaire. ” Les pratiques des professionnels de la santé sont encadrées par le Code de la santé publique tandis que les pratiques des vétérinaires sont encadrées par le Code rural et de la pêche maritime “, précise le Docteur Guérin. Ainsi, les professionnels de la santé dépendent du ministère en charge de la santé, ministère qui peut mobiliser la réserve sanitaire, alors que les vétérinaires dépendent du ministère en charge de l’agriculture.
” 5.013 réponses ont été reçues en provenance de toutes les régions de France et de la part d’étudiants vétérinaires, de vétérinaires en exercice et de vétérinaires jeunes retraités prêts à s’engager dans cette réserve “, indique Jacques Guérin. D’après un communiqué de l’Ordre des vétérinaires, les chiffres ainsi que les coordonnées des vétérinaires disponibles ont été transmis aux ARS : en cas de besoin, il incomberait à ces agences d’organiser à l’échelle régionale la mobilisation des vétérinaires volontaires. Ceux-ci pourraient en particulier aider à la régulation téléphonique dans les centres d’appel. ” Les vétérinaires pourraient par ailleurs mettre à contribution leurs compétences logistiques : disposant de connaissances concernant la désinfection des surfaces et du matériel ou le bon usage des protections individuelles, ils pourraient avoir leur place dans les établissements de santé pour brancarder les patients, par exemple “, ajoute le Docteur Guérin.
3. Livraison de médicaments, objets de tensions d’approvisionnement
Le 31 mars 2020, 9 hôpitaux universitaires européens dont l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) ont signalé aux autorités des tensions d’approvisionnement concernant certains médicaments qu’ils qualifient d’essentiels au traitement des patients atteints de Covid-19 dans les unités de soins intensifs. L’Alliances des hôpitaux universitaires européens (EUHA), réseau auquel appartiennent les signataires de l’appel, s’inquiètent plus précisément de la réduction rapide des stocks de de médicaments myorelaxants (qui ont pour effet de relâcher les muscles), de sédatifs et d’analgésiques tous nécessaires à l’intubation et à la ventilation artificielle des patients. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a en effet signalé des tensions d’approvisionnement en fait assez anciennes sur deux curares (l’atracurium commercialisé par le laboratoire Pfizer et le cisatracurium commercialisé par l’entreprise Accord Healthcare) et sur un autre médicament utilisé en anesthésie-réanimation : le propofol commercialisé par la société Fresenius Kabi. L’hôpital Saint-Louis avait lui aussi signalé le 3 avril à Sciences et Avenir la réduction de son stock d’un hypnotique sédatif couramment utilisé en anesthésie et en soins palliatifs contre les états d’anxiété : le midazolam.
Ainsi, d’assez nombreux vétérinaires ont été sollicités précocement et directement par des hôpitaux afin que les professionnels de la santé animale leur fournissent des médicaments vétérinaires en vue de leur utilisation sur des patients humains, indique l’Ordre des vétérinaires. Dans ces conditions, l’Agence nationale de sécurité des médicaments à usage humain (ANSM) a évalué la sécurité d’un usage de certains médicaments vétérinaires sur l’Homme.
Tous les médicaments, à usage humain comme à usage vétérinaire, doivent répondre à des standards établis par le Code de la santé publique. Cependant, leur contrôle dépend de deux organismes différents : l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) pour les médicaments à usage vétérinaire et l’ANSM pour les médicaments à usage humain. C’est que les procédures qui conduisent à la mise sur le marché de ces deux grands types de médicaments ainsi que leurs normes de fabrication ne sont pas les mêmes. Afin qu’un médicament à usage vétérinaire puisse être utilisé chez l’Homme à la place d’une spécialité en tension, l’ANSM doit s’assurer notamment que ce médicament vétérinaire contienne le même principe actif au même dosage que cette dernière spécialité, explique Jacques Guérin.
Finalement, le 3 avril, l’ANSM a indiqué que deux spécialités contenant du propofol (un sédatif de premier recours en anesthésie et réanimation) initialement destinées à l’anesthésie des chiens et des chats peuvent être utilisés sur l’être humain dans un contexte ” où toutes les solutions sont recherchées pour éviter une […] rupture d’approvisionnement ” : ces médicaments ne diffèrent des spécialités pharmaceutiques à usage humain que par un excipient, qui contre-indique son utilisation seulement sur les femmes enceintes, les nouveau-nés et les insuffisants hépatiques ou rénaux.
Afin d’autoriser d’un point de vue réglementaire la prescription de ces médicaments à des patients, un décret a été pris : à l’heure actuelle, il est donc bien autorisé d’utiliser du propofol vétérinaire sur un être humain à l’hôpital et dans un contexte marqué par des difficultés d’approvisionnement. Les hôpitaux doivent toutefois obtenir ces spécialités pharmaceutiques auprès des industriels et des grossistes répartiteurs et non auprès des vétérinaires eux-mêmes, ces derniers devant également conserver un stock de médicaments pour les animaux qu’ils doivent soigner.
4. La réalisation de tests de diagnostic
Enfin, les laboratoires vétérinaires départementaux ou privés se sont proposés dès le milieu du mois de mars de réaliser des tests de diagnostic ou de dépistage du Covid-19. La biologie vétérinaire et la biologie médicale étant formellement séparées depuis l’entrée en vigueur de la loi du 30 mai 2013, les autorités ont longuement étudié la proposition des vétérinaires. Finalement, le 3 avril, alors que les biologistes médicaux de ville demandaient eux-aussi aux ARS l’autorisation de pratiquer les tests, le ministre de la Santé Olivier Véran a indiqué que les laboratoires vétérinaires, au même titre que les laboratoires hospitaliers, de ville, de recherche, de gendarmerie et de police volontaires seraient autorisés à réaliser ces actes de biologie médicale dès le 5 avril. Et en effet, le 5 avril, un arrêté a été pris dans ce sens. Ce texte ne concerne cependant que les tests de détection du virus par PCR et non les tests sérologiques de dépistage du Covid-19 qui pourraient être réalisés massivement en sortie de confinement.
” Les laboratoires de biologie vétérinaires sont habitués à réaliser des tests PCR ou sérologiques sur des populations de taille importante “, rappelle Jacques Guérin. Dans le contexte épidémique actuel, ces laboratoires pourraient donc apporter un soutien important aux laboratoires de biologie médicale. Par ailleurs, la réalisation de tests de diagnostic ou de dépistage du Covid-19 ne semble pas, d’après le président de l’Ordre des vétérinaires, constituer un obstacle technique pour ces laboratoires : les vétérinaires connaissent bien les coronavirus dans la mesure ou le réservoir de virus de la famille des Coronaviridae est animal.
Par ailleurs, il existe en France des industries dédiées à la production de réactifs de biologie utilisés par les laboratoires vétérinaires, explique le docteur Guérin. Pendant l’épidémie de Covid-19, ces entreprises fabriquent également des réactifs destinés aux tests de diagnostic des infections par le SARS-CoV-2 réalisés sur des prélèvements humains. Alors que des établissements de santé de pays étrangers passent des commandes à ces sociétés françaises, les autorités sanitaires françaises ne semblent ni s’approvisionner auprès de ces fournisseurs, ni avoir autorisé les laboratoires à se fournir auprès de ces industriels malgré le contexte de pénuries de réactifs, s’inquiète le docteur Guérin